(En)Quête Professionnelle - Sarah Boudjema Sarah Boudjema

Sarah Boudjema

Dans cet article nous vous proposons de découvrir Sarah Boudjema, 26 ans, doctorante en anthropologie à l’Université de Strasbourg et membre du LinCS depuis octobre 2024. Après deux années de prépa littéraire et une licence en philosophie, elle part en année sabbatique en Amérique du Sud. En quête d’une approche plus concrète des notions étudiées, elle se tourne vers l’anthropologie. C’est en 2021, après la pandémie de Covid, qu’elle entame ce nouveau parcours à l’Université de Strasbourg.

À la recherche de concret : une rencontre fortuite avec l’anthropologie

« Au tout début, quand j’ai quitté le lycée j’ai fait deux ans de prépa littéraire qui m’ont plu, mais psychologiquement c’était pas hyper facile à suivre. À la suite de ma prépa, je suis allée à Lyon et j’ai fait une L3 en philosophie puisque j’avais majeure philo, donc c’était un peu la voie toute tracée. Et j’ai pas du tout aimé la philo. Il me manquait quelque chose de beaucoup plus concret. J’étais trop dans les concepts et j’avais besoin d’appliquer ces concepts à des choses que je voyais dans la vie de tous les jours, ce que je n’arrivais pas à faire quand on étudiait, par exemple heu... « Critique de la faculté de juger » de Kant [rire]. Voilà, je voyais pas trop l’intérêt pratico-pratique. »

« Je suis partie en année sabbatique en Amérique du Sud, qui avait vocation à être élargie, mais qui a été raccourcie par les confinements et l’année du Covid. Et donc je suis rentrée en France et je me suis beaucoup ennuyée pendant le premier confinement - je sentais venir un deuxième confinement - et je me suis dit ‘’plus jamais’’. Il faut que j’aie un truc intellectuel pour au moins me stimuler un petit peu pendant ces mois enfermés chez moi. Et comme je rentrais de voyage, j’ai commencé à m’intéresser un petit peu à l’anthropologie. J’ai fait une L3 d’anthropo un peu plus pour patienter et savoir ce que je voulais faire de ma vie et ça m’a plu et j’ai continué en master et en thèse. J’ai vraiment beaucoup aimé l’anthropo, et j’avais un peu comme idée derrière la tête que ça allait me permettre de voyager. J’ai bien réussi mon coup [rire]. […] Anecdote : quand j’étais petite, quand mes parents me demandaient ce que je voulais faire plus tard, je leur répondais soit « faire le tour du monde en bateau », soit « devenir écrivaine » et ils me répondaient « un truc qui gagne de l’argent ma fille » [rire]. Et j’ai un peu l’impression qu’en faisant une thèse en anthropologie, j’ai le droit à la fois, de voyager, même si ce n’est pas exactement comme j’en rêvais quand j’étais petite, et d’écrire. »

Le terrain collectif : un souvenir inoubliable

« Le terrain collectif, je pense que c’est un des souvenirs les plus importants et le plus vifs que je garde. Le fait d’enfin travailler à plusieurs, ce dont on avait discuté en cours, mais qu’on avait très peu eu l’occasion de mettre en pratique pendant le master. Je trouve que, le terrain collectif, ça nous permet d’appréhender un peu qu’est-ce que c’est de faire de l’ethnographie à plusieurs.  C’était hyper agréable parce que j’ai fait ça avec deux amies. On était un groupe de cinq, mais y’avait deux de mes meilleures amies de la promo. On a à la fois beaucoup ri, beaucoup travaillé, peu dormi, mais voilà c’était un très très bon souvenir. »

« Alors nous, notre année, on est allés au Pays de Bitche. On avait des thématiques de recherche, avec mon groupe on a travaillé sur le paysage sonore du pays de Bitche. Donc on a travaillé à plusieurs sur cette notion là de paysage sonore, on a essayé de récolter un maximum les sons qu’il y avait en pays de Bitche. C’est pour ça, vu qu’on avait un terrain qui n’était que d’une semaine, [que] c’était quand même extrêmement pratique d’être cinq. Heureusement qu’on était plusieurs. Donc ça nous a aussi permis de nous rendre compte à quel point c’est utile de travailler à plusieurs, surtout quand on a des terrains qui sont restreints dans le temps. […] Je trouve que ce qui a été peut-être le plus riche, au-delà de l’enquête en elle-même, c’était pendant les périodes d’analyse des données où chacun, chacune avait des ressentis très différents du terrain, ce qui a été extrêmement riche d’un point de vue réflexivité. On a pu beaucoup discuter entre nous sur pourquoi on avait ressenti le terrain de telle ou telle manière et ça nous a aussi permis de penser différemment les résultats de l’enquête. »

Les méthodes qualitatives, une force du master

« Pour moi, dans les points forts du master, il y a le fait qu’on a quand même beaucoup insisté sur les méthodologies d’entretien, par exemple et les méthodes qualitatives. À l’issue du master, j’ai acquis une bonne maitrise de ces méthodes-là, qui moi, évidemment, me servent dans la thèse, puisque c’est la continuité du master, mais qui, dans un cadre par exemple journalistique, ou … je vois même dans ma vie de tous les jours, dans ma manière de relationner, de poser des questions, quand j’ai envie aussi d’avoir une information un peu spécifique de la part de quelqu’un, elles sont quand même très très utiles. Je trouve que la formation en termes de méthode qualitative est vraiment très bien menée dans le master à l’Université de Strasbourg. Après, il y a des choses qui sont peut-être moins pratiques en termes de savoir, mais qui, moi, m’ont totalement transformé ma vision du monde. Les cours d’anthropologie de la nature par exemple. Parce qu’à l’époque où moi j’étais dans le master, on n’en parlait pas autant, mais les études décoloniales, tous ces courants de recherche, ont vraiment transformé ma vision du monde et ma manière d’être dans ce monde. »

L'experience d'un terrain en Argentine...

« Pour mon master je suis partie en Argentine et j’ai travaillé avec une association qui s’appelle la « UST Campesina y territorial », c’est l’Union des paysans et paysannes sans terre, spécifiquement de la province de Mendoza. Au début je suis partie du Chili et finalement j’ai fini par traverser la frontière et travailler en Argentine avec les personnes de la UST. Et donc ce terrain en Argentine c’était mon terrain de Master.  On avait déjà fait un mémoire en L3. J’avais travaillé à Bure à la maison de la résistance, notamment avec un groupe écoféministe et je m’intéressais surtout aux résistances populaires à de grands projets industriels de grosse envergure. Et, en fait, j’ai aussi découvert une littérature latino-américaine sur ces questions-là qui m’a semblé extrêmement intéressante et j’avais envie d’aller comparer et comprendre comment les luttes d’Amériques latines permettent aussi à des textes aussi intéressants et importants d’être écrits d’un point de vue académique en Amérique du Sud. C’est la raison pour laquelle je suis partie là-bas, pour étudier des mouvements sociaux. Et la question des paysans et paysannes m’intéressait d’autant plus que ce sont des choses qui sont beaucoup analysées dans les littératures latino-américaines décoloniales et j’avais envie de comprendre où émergeaient véritablement, dans la pratique, les concepts que je lisais dans la littérature sur le sujet. »

« Alors c’était super, c’est vrai que j’ai pas dit, mais je suis partie quatre, cinq mois en M1, puis j’ai eu la chance de partir un an entier en M2. Ce qui a fait que j’ai repoussé la date de soutenance de mon mémoire de six mois, puisqu’il m’a fallu du temps pour l’écrire après. Mais je suis aussi restée un an parce que l’expérience sur le terrain c’était extraordinaire. De vivre dans un autre pays, ça m’a aussi beaucoup plu, j’ai rencontré beaucoup de personnes, j’ai appris énormément de choses. Mais, ce n’était pas facile. J’ai travaillé avec des paysans et paysannes qui ne parlent pas ma langue natale […] et surtout moi je viens d’un milieu rural, mais pas paysan. Donc il y avait la double difficulté de s’insérer dans un milieu paysan et dans un pays dans lequel les circonstances ne sont pas du tout les mêmes. »

... Et son prolongement en thèse

« Actuellement je travaille sur les résistances ou les acceptations face aux projets d’extraction de lithium.  Je vais tenter de faire une étude comparée entre l’Alsace du Nord et la province de Jujuy en Argentine, qui sont deux terrains totalement différents, aux contextes sociopolitiques totalement différents, et aux contextes d’extractions totalement différents, mais sur lesquels il y a des résistances et une partie de la population qui accepte. Et c’est aussi ce qui m’intéresse : quelles sont les représentations du territoire qui amènent des populations à se mobiliser ou non, les représentations de l’écologie, de la transition énergétique, du matériau lithium en soi, qui amènent les gens à accepter les extractions sur leur propre territoire, ou non. Et pour faire ce travail, je suis dirigée par Geremia Cometti. »

Le concours du contrat doctoral

« Je suis sous contrat doctoral, donc c’est un contrat qui est très très libre. J’ai passé un concours pour obtenir ce contrat. Il se joue en deux temps principaux. D’abord on rédige un projet de recherche qui est un document assez court où on présente les recherches qu’on a envie de mener avec un terrain, un premier état de l’art - c’est-à-dire l’état de la littérature existante sur notre sujet de recherche - qu’on soumet dans un premier temps à un laboratoire, donc mois c’est le LinCS (Laboratoire Interdisciplinaire en études culturelles). Une fois que le laboratoire a accepté le fait qu’on réalise notre recherche dans l’enceinte de ce laboratoire, on soumet ce même projet de recherche – ou avec quelques changements s’il faut - à l’école doctorale (chaque laboratoire est affilié à une école doctorale). Ça c’est la première étape pour avoir un financement. Et certains des projets sont retenus par l’école doctorale à laquelle on postule. Puis les personnes dont le projet a été retenu passent un oral, qui dure une vingtaine, trentaine de minutes, où on expose face à un jury, composé d’environ une quinzaine de personnes. Ensuite [il y a] un temps d’échange avec des questions. Et sur la base de cet échange, le jury choisit à qui ils vont donner un financement. »

Une journée « type » en thèse pour Sarah

« En général je passe une journée dans la semaine à préparer mes cours de la semaine. Ensuite j’essaie de diviser mes journées : le matin je lis en général depuis chez moi, plutôt des livres qui intéressent mon sujet, qui tournent autour de ça. J’ai pris aussi plusieurs mois au début de ma thèse pour redéfinir mon sujet. Ce qui a fait que j’ai lu beaucoup de choses qui n’étaient absolument pas en lien avec le sujet que j’ai actuellement, mais c’était extrêmement agréable parce que j’ai aussi pu sortir de mes sujets de prédilection. Et l’après-midi j’essaie plutôt de lire des articles ou des choses un peu plus spécifiques. J’essaie de consacrer toujours quelques heures à faire du lien avec le terrain, ce qui au début de mes premiers mois était plutôt du coup, chercher des terrains potentiels, et là c’est plutôt répondre à tous les messages des personnes de mon terrain, commencer à prendre contact avec des chercheur.euses en Argentine. Je fais des réunions avec des chercheurs et chercheuses […] je suis déjà en train d’échanger avec des chercheurs et des chercheuses qui travaillent sur mon terrain français, je prends contact avec des chercheurs et chercheuses sur mon terrain argentin voilà. C’est plein d’activités totalement différentes, en tout cas pour moi actuellement. »

« Je suis financée, mais c’est moi qui gère mes horaires. Je suppose que je suis censée travailler 35 heures par semaine et dans mon idée j’aimerais bien me dire « bon, ben je fais un 8h-17h ou un 9h-18h ». C’est pas le cas. Ça ne marche pas comme ça pour moi. Y’a des jours où j’arrive pas du tout à m’y mettre où je suis pas efficace ou alors je travaille véritablement que deux heures et y’a des jours ou je suis extrêmement efficace et je suis hyper motivée par mon travail et je bosse 12h sans même m’en rendre compte. Au stade où j’oublie de manger [rire]. Mais je suis toujours comme ça dans absolument tout ce que je fais, c’est un trait de caractère très personnel. »

Pour les futur.es étudiant.es

« Si je pouvais donner un conseil aux futures étudiant.es qui rentreraient en master ou en thèse, je dirais soyez curieux.ses ouvert.es d’esprit et ayez envie d’exercer votre esprit critique et de découvrir des choses. »