(En)Quête Professionnelle - Magdalèna Belz

Magdalèna Belz

Dans cet article, nous vous présentons le parcours de Magdaléna Belz, en formation sommelier-caviste, ambassadeur en gastronomie, à l’École Franck-Thomas. Pour sa dernière année de licence en langues étrangères appliquées, Magdaléna part en Erasmus en Italie. C’est le début de la pandémie de COVID, période propice à la réflexion, qui l’a menée à poursuivre ses études en anthropologie.

L’Anthropologie : Un terme inconnu

« Vu que j’ai fait un bac scientifique, j’étais intéressée par les sciences de la vie, mais d’un point de vue général. Et après, vu que j’ai fait une licence de langues, c’était plus le point de vue culturel, la diversité. Et l’anthropologie, je me suis dit que ça allait rassembler à la fois l’histoire, d’un point de vue un peu philosophique et, en même temps la culture, l’être humain et le rapport sociologique avec le monde qui nous entoure. Et c’est pour ça que, quand j’ai découvert ce mot - parce qu’avant je ne le connaissais pas du tout, au lycée je ne savais pas ce que c’était l’anthropologie – je me suis rendue compte que ça rassemble tout ce qui me passionne. Et c’est ce que je voulais faire en termes d’études. Des études qui m’enrichissent intellectuellement. Et l’anthropologie, ça répondait à tous ces codes, de mon point de vue. »

Une expérience de terrain, une révélation

Pour son terrain de L3, Magdaléna réalise un mémoire sur la transition écologique à Ungersheim. C’est lors de cette expérience qu’elle rencontre un maraîcher qui l’initie à la biodynamie, mouvement « ésotérique » rendu légitime, en France, par les vignerons.

« Comme le vin ça fait vraiment partie de la culture française, je me suis dit « bon bah en Master je vais aller sur cette voie que je n’ai pas pu vraiment développer en L3 ». J’ai fait des recherches sur les domaines viticoles de Strasbourg et j’ai trouvé le domaine Lissner à Wolxheim. J’ai lu la page Internet de leur site sur laquelle le vigneron écrit des articles en mélangeant à la fois des notions poétiques de science et de nature, ce que j’ai trouvé très intéressant comme approche. Et ça m’a interpellée et je me suis dit « tiens je vais aller le rencontrer juste pour voir ce que ça donne ». Et la première fois que je suis venue et que j’ai parlé avec ce vigneron, on a parlé pendant trois heures, je crois. Donc j’avais beaucoup de choses à retranscrire. Et ça m’a passionné. Je me suis dit « waouh, je pense que le vin c’est vraiment un bon sujet ». Et après, petit à petit, ça s’est précisé, je suis revenue plusieurs fois et là je me suis dit « ouais OK c’est ce sujet que je vais choisir pour le Master ». Donc c’est venu petit à petit, avec d’abord un premier terrain. Puis de toute façon c’est le terrain qui parle. Pour moi ce n’est pas moi qui aie vraiment décidé, je ne me serais jamais dit « je vais faire un sujet de recherche sur le vin », d’autant plus que je n’aimais pas ça avant donc… C’était assez inattendu. »

« La première chose que je décris [dans le mémoire de master] c’est une sensation, une émotion par rapport à la dégustation d’un verre de Riesling, que j’ai goûté pour la première fois au domaine, au tout début de ma recherche. […] Et ce vin-là il m’a parlé, il m’a vraiment... c’était un choc !  C’était un peu spontané parce que, dans mes souvenirs, on était en train de tresser la vigne le matin et j’étais accompagné de deux vendangeurs qui allaient participer à la saison deux semaines après. Donc on était tout simplement à la table devant le chai, au soleil, puis il [le vigneron] a ouvert une bouteille, classiquement en même temps que le repas, je pense qu’il n'avait aucune intention de me créer un choc [rire].

Même si Magdalèna n’avait pas d’attirance particulière pour le vin avant son terrain, elle décide, ce jour-là, de boire le verre que le vigneron lui offre.
« Je me suis dit je vais aller dans l’imprégnation totale, c’est ce qu’on nous dit en cours il faut y aller à fond !  Mais au-delà du vin, c’est aussi l’histoire des vignerons et tout ce que ça comporte comme travail avant, donc c’est comme si en buvant un verre t’avais l’impression de déguster toute une histoire. […] Ça m’a fait rentrer dans le monde du vin par l’émotion et c’est ça qui m’a plu après sur le sujet pour développer un peu ce côté plus sensoriel et parler de toute cette esthétique. »

La formation Sommelier-Caviste  

« C’est très large, ça dure 14 mois, donc c’est très condensé et le but c’est vraiment d’avoir les bases de la sommellerie, donc les connaissances de toutes les régions, techniques de vinification, les labels, techniques de vente, le commerce, techniques de dégustation aussi et les spiritueux qui viennent en fin de formation, ainsi que tous les autres types d’alcool et boissons en dehors du vin. »

« Parfois on voyage. Vu que cette école est basée sur l’intuitif, on utilise des bandeaux pour avoir des images personnelles [lors de dégustation] et moi j’adore travailler sur l’imagination, j’ai beaucoup d’imagination, j’écris aussi à côté. En fait, le vin, c’est raconter des histoires, c’est essayer de les partager et, en même temps, de s'imprégner de celles des vignerons pour que ça puisse parler a plein de personnes. C’est tellement génial. On a cette mission, en tant que caviste ou sommelier, de partager ça avec les autres. »

« Là je suis en apprentissage chez un caviste, donc j’apprends le métier de la vente, en même temps l’animation de certaines soirées de dégustation, l’envers du décor du métier, que ce soit l’organisation, les stocks, etc… Mais après cette formation, j’aimerais peut-être me diversifier pour une pratique un peu plus pratico-pratique dans les vignes ou alors en restauration pour faire du conseil client au niveau du vin et des accords mets-vin. »

« Là où je travaille actuellement, c’est le seul endroit où j’ai vraiment senti que le patron allait me transmettre des connaissances. Le monde de l'apprentissage, ça reste parfois un peu fourbe, le maître d’apprentissage n’est pas toujours présent, ça dépend des entreprises, encore une fois c’est le monde du travail, c’est pas facile. Et eux m’ont vraiment rassuré parce qu’ils m’ont dit « de toute façon vous ne serez jamais seule et on va vous suivre, on va vraiment vous transmettre tout ce qu’on sait le plus possible ». Et j’ai senti que si j’allais chez eux, j’allais apprendre. »

Une journée type en alternance chez un caviste

« Alors je suis pas patronne, donc je n’ai pas les mêmes responsabilités que mes patrons, mais par exemple si on a reçu les commandes, on les met en stock, on réajuste les prix, on réorganise les étagères, on range et puis on accueille les clients et on les conseille. Après en détail le conseil client, ça pourrait presque être un sujet ethnologique en soi. Le but c’est qu’en cinq secondes : il y a quelqu’un qui rentre, il vous demande ce dont il a besoin et vous devez vraiment cerner la personne, ensuite poser des questions, bien écouter ce que dit le client pour qu’encore une fois, comme en anthropologie, aller en entonnoir de plus en plus dans la précision. Et ça en très peu de temps et en ayant en tête toutes les bouteilles de vin, de se dire « OK, qu’est-ce que je peux proposer de plus pertinent » par rapport à ce que le client souhaite. » […] Mais ce qui est bien c’est que les journées ne se ressemblent jamais. Ce ne sont jamais les mêmes personnes qui vont rentrer dans le magasin avec les mêmes demandes. Donc tous les jours j’apprends quelque chose. »

« En formation on nous apprend à utiliser des termes à la fois techniques, mais en même temps aussi accessibles. Après en application, si j’utilise un mot trop technique, tout de suite le client va me dire « j’ai pas compris » ou alors « non ça ne me parle pas ». Alors que finalement, peut-être que c’était ce vin-là qui aurait été parfait, mais juste j’ai utilisé un mauvais mot. C’est super délicat. Par exemple ce champagne [fictif] : c’est une cuvée avec un assemblage de chardonnay, de pinot noir et de pinot meunier. Le chardonnay apporte de la vivacité et le pinot noir, un petit peu de structure. Mais comme c’est sur des sols calcaires ça a une certaine longueur, finesse et une certaine délicatesse en fin de bouche, sur des notes un peu salines et surtout, la mousse est très très fine et aérienne. Donc ça c’est l’explication technique. Et s’il fallait faire très simple : ce champagne pourrait être très bien pour un apéritif, on retrouve une mousse vraiment très agréable en bouche qui persiste, puis surtout il est très droit, très sec. »

L’intérêt d’un parcours en ethnologie

« Pour le coup, je pense que c’est quand même un atout d’avoir été en anthropologie, parce qu’il y a quand même ce côté sens de l’observation, de l’écoute, le fait d’avoir une capacité d’adaptation, vraiment, c’est très important. Faut aimer partager et parler aux gens et c’est exactement ça l’anthropologie, c’est parler aux gens, avoir ce lien. Donc faut aimer l’être humain je pense. […] Peut-être aussi la capacité à faire des liens entre les choses. Savoir adapter sa posture, prendre du recul, etc… Tout est dans la justesse. Parce que quand on rentre dans un terrain, on est un peu en retrait, on ne sait pas trop comment se placer et puis ça s’affine petit à petit et je pense que quand on fait le métier de caviste, il faut savoir parfois se mettre un peu plus en avant avec un client ou un peu moins pour un autre. Parce qu’il y en a certains, il faut vraiment les écouter. C’est-à-dire qu’il y a aussi l’aspect financier. À la fin ils passent à la caisse, donc s’il y en a qui ont beaucoup d’argent, on n’est pas là pour leur dire « non, là avec vos huîtres, il ne faut surtout pas du rouge ». Faut pas leur dire ça. Le mieux c’est d’adapter la réponse et de leur dire « alors le mieux c’est celui-ci », même si on sait très bien que c’est pas terrible. Il faut savoir être humble aussi. Le but c’est de satisfaire le client. »

Pour les futur.es étudiant.es

« C’est des études que je ne regrette absolument pas. S’il fallait le refaire, je le referais. Bien sûr, là je suis dans une formation qui complète ce que j’ai fait en Master, mais c’est tellement enrichissant et on apprend une ouverture sur le monde qui est hyper vaste. C’est ce que j’en retiens et franchement pour moi c’est parfait. »

« Le plus important, c’est de choisir un sujet de recherche qui nous passionne. Mais vraiment. Peut-être, si c’est possible bien sûr, choisir quelque chose qui pourrait être en lien avec un futur, en dehors du parcours classique de tout simplement poursuivre en recherche. Parce que pour le coup, pour avoir étudié le vin d’un point de vue anthropologique comme ça, avant de faire une formation pratique, ça permet d’aller beaucoup plus vite sur la compréhension du vin qui est beaucoup plus large et pas toujours facile à comprendre. Et surtout de se faire confiance tout simplement, de s’écouter et de prendre plaisir à faire de la recherche, que ce ne soit pas un fardeau. Moi je sais que ce qui m’a permis d’apprécier le plus de faire du terrain et de la recherche, c’est de me dire « je suis légitime » par exemple à poser des questions qui peuvent me paraître idiotes sur le terrain, pour comprendre encore plus. Et au-delà de ça, ne pas trop s’enfermer sur un statut d’étudiant, un peu trop coincé dans la formalité et s’ouvrir au lâcher prise sur le terrain pour que ça libère encore plus de choses. Autant pour la recherche que pour les rencontres qui sont de l’ordre du plaisir. Ça reste des rencontres humaines, donc ce n’est pas que « un sujet de recherche » et « réaliser un mémoire », c’est aussi vivre une expérience humaine. »