(En)Quête Professionnelle - Étienne Quinn Étienne Quinn

Étienne Quinn

Dans cet article, nous vous présentons le profil d’Étienne Quinn, chargé d’adhésion chez OpenEditions. Après deux années de licence en sciences sociales à l’Université de Strasbourg, il se spécialise en ethnologie dès la troisième année. Il poursuit ensuite en master, au terme duquel il soutient son mémoire en 2019.

Trois mémoires, trois terrains

Au cours de son parcours universitaire, Étienne rédige trois mémoires portant sur des thématiques variées : le handicap mental en licence 3, le tourisme chamanique en master 1, et les pratiques agricoles ainsi que le rapport au terroir en master 2.

« Le fil directeur de mes trois terrains, c’était le rapport à la nature. Pour rentrer plus dans le détail, mon premier terrain sur le handicap mental, en fait c’était un genre de centre, un internat qui pratiquait une pédagogie particulière pour l’accompagnement des personnes en situation de handicap et que je connaissais parce qu’il est à dix minutes de chez mes parents, dans les montagnes près de Colmar. Ensuite, le tourisme chamanique, je pense que c’était assez personnel. Je m’étais retrouvé à faire du woofing l’année d’avant en Espagne, en Andalousie et je suis tombé par hasard sur cet endroit. Puis y’avait tout un côté syncrétisme, usage de psychotrope, habitat alternatif, yourtes, un espèce de rapport à la tradition de la mouvance « new age ». [Ce sont] des sujets qui sont d’ailleurs toujours assez en vogue en anthropologie. Et donc je me suis dit « super ! ». Je me suis super bien entendu avec les personnes sur place et je leur ai directement parlé de la possibilité de faire ça et ils étaient d’accord, voire même, assez partant pour que je revienne écrire eux. Et mon troisième terrain, en fait, c’est marrant parce que c’est en étant au centre chamanique que je me suis rendu compte que j’avais l’impression un peu de passer à côté de quelque chose. J’étais en Espagne, mais je parlais pas espagnol. Le centre était en haute montagne, plus ou moins isolé et c’était une espèce d’entre soi de personnes qui venaient d’autres pays d’Europe et du monde, des Pays-Bas de France, de Norvège, du Canada, pour faire des retraites spirituelles chamaniques dans le centre. Et en fait j’ai eu envie de rencontrer les habitants du village de cette même région où j’avais passé quelques mois et de travailler sur des problématiques plus communes à l’espace géographique et plus ancrées dans l’histoire locale en tout cas. »

Quelques souvenirs de ces années

« Quels souvenirs je garde de ces années…. Je me suis surtout fait des amis. Il y avait un bon esprit de collectif. Peut-être pas dans toute la promo, mais on était peut-être une dizaine à venir régulièrement en cours. On était quatre de la promo d’ethno, à un moment, dans la même colocation avec un groupe d’amis. On était à peu près sept, huit à avoir développé une vraie amitié et ce sont des amitiés que je garde avec certains. Même si on vit dans des villes différentes et qu’on a des vies différentes. On travaillait beaucoup ensemble, on se serrait les coudes, avant les exams, on allait dans n’importe quelle salle, on écrivait, on discutait. Ce sont de très bons souvenirs. Je me sentais très stimulé intellectuellement. […] Puis j’étais impliqué aussi dans l’association étudiante avec d’autres amis et camarades. »

Les apports du master

« L’anthropologie a peut-être contribué à me faire voir la beauté et la poésie du monde, surtout dans un monde qui est de plus en plus anxiogène. Je pense que l’anthropologie m’a permis de développer une capacité à rêver. C’est peut-être un peu naïf dit comme ça. Ou en tout cas [m’a permis] d’imaginer une infinité de possible pour moi dans ma vie. Parce que c’est des expériences de vie tellement forte. Là j’y repense, mais les différents terrains que j’ai faits m’ont complètement façonnés aujourd’hui dans qui je suis, dans des choses aussi bêtes que le fait de, je sais pas, quand on a été dans des galères ou confronté à des situations de galère ou à des personnes ou choses dures sur le terrain bah en fait parfois dans notre vie personnelle on est en mesure de prendre du recul et se dire « bah en fait c’est pas très grave, en fait rien n’est très grave ». Et peut-être [que ça m’a apporté] aussi une certaine confiance en soi. Je pense que c’est beaucoup ça de faire du terrain. Moi ça m’a beaucoup apporté en termes de confiance en moi. Quand je suis parti en Espagne la deuxième fois j’ai débarqué dans un village avec une voiture et je ne savais pas parler espagnole, je marmonnais trois mots. Et je ne savais pas où j’allais dormir, je ne savais pas ce que j’allais faire, je ne savais pas pendant combien de temps j’allais rester, je ne savais rien. Je savais juste que j’avais 450 euros par mois pour vivre, entre la bourse et l’argent que mes parents me donnaient et c’est tout. Et j’ai réussi à me démerder avec ça. Et je pense que c’est aussi grâce à cette expérience que je me suis senti à même de partir avec une valise à Marseille. C’est aussi ce qui m’a donné peut-être la confiance de me dire que je pouvais prétendre à candidater sur le portail emploi du CNRS. »

« Je pense que l’une des choses que ça m’a vraiment apportée c’est peut-être le fait qu’aujourd’hui je peux me confronter à un article académique ou un essai théorique et ne pas avoir peur de le lire ou de ne pas le comprendre. Ça a débloqué un certain niveau de penser peut-être ou de théorisation du monde social. »

Chargé d’adhésion, quèsaco ?

Après sa soutenance de master en décembre 2019, Étienne prend la décision de déménager à Marseille. Après plusieurs remises en question d’ordre personnel, il décide de s’orienter vers les métiers du monde de l’appui à la recherche.

« J’ai abandonné le CAPES au moment des épreuves, j’ai rendu une copie blanche à l’une des épreuves. Je me suis dit « merde, qu’est-ce que je vais faire ». À ce moment-là je me suis dit que j’avais peut-être envie de remettre un pied dans le monde de la recherche, mais pas en tant que chercheur, en tant que personnel d’appui ou de soutien à la recherche. Donc ce que je fais actuellement. On est les personnes qui permettent aux chercheurs de faire de la recherche et sans qui il ne pourrait pas y avoir de recherche. On est beaucoup plus nombreux et nombreuses que les chercheurs, au CNRS ou dans les universités. Donc c’est tout le personnel en fait qui ne fait pas de la recherche. Et donc là j’ai commencé à faire une petite veille sur les plateformes de l’INRAE, de l’IRD, du CNRS, d’Aix-Marseille Université -parce qu’ils ont des portails emploi, ce qu’il faut savoir - Et je suis tombé un peu par hasard sur ce poste et je me suis dit « bah tiens, ça correspond à mon profil ». J’avais une petite connaissance du monde de l’édition académique parce que j’avais eu l’opportunité de publier des articles et comptes rendus d’ouvrages pendant mon cursus et de participer aussi à un projet d’actes d’une journée d’étude interannée qui avait été organisée par l’association étudiante en partenariat avec l’institut. Et donc là, je suis en poste au CNRS et je suis employé chez OpenEditions, c’est en gros Cairn, mais public. [...] Je m’occupe des revues qui arrivent, des éditeurs qui arrivent sur la plateforme, qui veulent être diffusé sur OpenEdition et je fais de la recherche d’experts, je fais moi-même des retours sur des dossiers de candidature pour des revues en SHS, donc toutes disciplines confondues, du droit à la philosophie, en passant par l’histoire, le sport, des revues de recherches en pédagogie, etc.. »

« Je trouve que mes missions dans l’ensemble sont stimulantes. En fait je suis au cœur des discussions sur les périmètres scientifiques et éditoriaux des plateformes, donc par rapport au positionnement sur les publications des pays du sud, sur la pratique de frais de publication, sur la question de périmètre disciplinaire. Tout ça c’est assez intéressant et stimulant. Je travaille avec la directrice directement, avec qui les choses se passent bien, les relations au travail se passent bien, l’équipe est vraiment vraiment très chouette. Donc il y a le côté mission, mais aussi le côté cadre : on a des grands locaux à Marseille avec un jardin où on peut manger au soleil tous les midis. Je me suis fait un réseau de connaissances, collègues, amis au travail. On partage tous une appétence pour les SHS en fait, peu importe les postes que ce soient, certains développeurs, informaticiens, personnes du service données. On a tous un lien, plus ou moins, avec le monde de la recherche et surtout des SHS et donc c’est agréable. Il y a pas mal de collègues qui ont fait des thèses en sociologie. […] C’est un cadre de travail assez stimulant en fait par rapport à la recherche académique et à la science ouverte, aux données. On est au cœur en fait de ce qu’on appelle les humanités numériques chez OpenEditions et ça c’est très très chouette. Après y’a tout le côté liberté. La liberté que j’ai au travail. Vu que je suis sous la responsabilité directe de la directrice, j’arrive un peu quand je veux, je pars quand je veux, j’ai trois jours de télétravail par semaine. Tant que je fais mes missions, les choses se passent bien, personne ne surveille mes allées et venues, ce qui est très agréable. »

L’intérêt d’une formation en anthropologie

« Je pense que, dans le milieu dans lequel je travaille c’est clairement valorisé d’avoir fait des études en anthropologie parce que c’est peut-être l’une des disciplines parmi les SHS qui est la plus - enfin qui est très généraliste - ou très interdisciplinaire par essence. Où tu vas lire des choses écrites par des historiens des historiennes, des agronomes, pour mon cas des géographes beaucoup, des sociologues, de la littérature aussi. Et là du coup pour le poste que j’occupe c’est important. »

« Les prérequis, en fait c’est une des raisons pour lesquelles ils ne proposent pas de titularisation selon le poste. Parce qu’en fait c’est un métier qu’on peut apprendre, où on touche un peu à tout. Il faut connaître à peu près le monde de l’édition académique et les grandes institutions de la recherche en France et en Europe et comment elles fonctionnent entre elles et les débats qu’il peut y avoir au niveau du ministère sur les grandes orientations de la recherche, de l’édition académique et de la relation entre les deux. Donc les prérequis c’étaient des connaissances à peu près sommaires, moi j’en avais très peu. Après c’est surtout avoir de bonnes capacités rédactionnelles et d’expression orale et se sentir à l’aise d’animer des réunions avec le conseil scientifique, de rédiger des rapports, des ordres du jour, faire preuve de diplomatie dans les lettres qu’on envoie aux revues qui sont ajournées par exemple, tout ça. »

Comment valoriser son master sur le marché du travail ?

« Je pense que c’est aux étudiants eux-mêmes de se saisir des compétences des connaissances d’un certain rapport au monde ou d’un état d’esprit qu’ils ont pu acquérir pendant leur cursus. De s’en saisir, de se l’approprier et de pouvoir le mettre en avant comme étant des atouts, des acquis et quelque chose qui leur permet aussi de se différencier d’autres personnes. […] Donc je pense que notre place sur le marché du travail, on doit se la faire nous-même en fait. On doit se frayer un petit chemin et si l’employeur en face de nous trouve que notre profil est intéressant parce qu’on a fait de l’anthropologie, alors ça peut marcher. Après, on ne peut pas prétendre être ce que l‘on n’est pas, non plus. Et puis, oui, je pense qu’il faut pleinement assumer les compétences qu’on acquiert en tant que chercheur et je pense qu’il faut peut-être un peu briser cette idée qu’il faut avoir fait une thèse pour être anthropologue ou ethnologue, ou en tout cas pour avoir un esprit critique ou un esprit de recherche. »

« Là pour le poste que j’occupe actuellement j’ai mis en avant mes expériences de l’édition académique et ma connaissance du fonctionnement du monde de la recherche et des institutions de la recherche en fait. Le fait que je comprenais comment fonctionnait… je sais pas, par exemple : politiquement, comment la recherche fonctionne, dans les grandes lignes, comment la recherche est financée, les tendances actuelles du monde de la recherche en matière de sciences ouvertes, notamment, de sciences participatives, de recherche par projets aussi. […] J’ai mis en avant aussi beaucoup ma capacité à collaborer et à parler le même langage que les chercheurs. Parce qu’au quotidien, en gros, je fais le lien entre la direction d’OpenEdition, le comité éditorial, ou de validation éditoriale d’OpenEdition - et donc les politiques menées en interne - et le conseil scientifique d’un autre côté, externe à OpenEdition, mais qui est garant du périmètre scientifique des plateformes, et de l’autre côté, les éditeurs qui sont, soit professionnels du monde de l’édition pour les livres, soit chercheurs et chercheuses pour ce qui est des revues académiques en SHS. Donc j’ai mis en avant ma capacité à parler le même langage que toutes ces personnes. Pour y avoir été confronté dans le cadre de mes études de terrain, de colloques ou de séminaires auxquels j’ai pu participer, d’échanges que j’ai pu avoir dans ma vie d’étudiant en fait. Et de mon investissement dans l’association étudiante aussi, où j’ai pu mettre un peu en avant tous les côtés de coordination, organisation d’évènements scientifiques. »

Pour les futur.es étudiant.es

« Si vous en avez envie, foncez parce qu’on a encore cette chance, en France, de pouvoir presque gratuitement, faire les études qu’on veut, pour l’instant. Donc il faut, je pense, la saisir et dans tous les cas, vous vous débrouillerez dans la vie, je pense. Mais ce que je vois autour de moi c’est que j’ai beaucoup d’amis, ou de la famille, qui ont fait des études d’ingénieur ou de communication, ou de commerce et qui en fait, quand je leur parle de mes études, me disent « t’as trop de la chance d’avoir fait ça, je rêverais d’avoir fait ça » et qui aujourd’hui se réorientent. Parce que finalement, en fait, je pense que, si on a un minimum d’esprit critique, on ne peut pas travailler dans la pub, on ne peut pas être ingénieur, designer, on ne peut pas. Je pense que si les sciences sociales et l’ethnologie vous intéressent, tout le reste vous décevra. Et ce n’est jamais trop tard pour se réorienter ou se reformer à autre chose par la suite. »