(En)Quête Professionnelle - Ayoub El Arraf

Ayoub El Arraf

Dans cet article nous vous présentons le parcours d’Ayoub El Arraf, 29 ans, doctorant en Anthropologie et ATER à l’Université de Strasbourg.
Après une licence en Muséologie-Anthropologie à l’institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine à Rabat, Ayoub décide de mettre de côté la muséologie afin de se dédier à l’anthropologie. C’est alors qu’il poursuit son cursus en master, à la faculté des sciences sociales de l’Unistra. Hésitant à poursuivre en thèse, il fait le choix de suivre un deuxième master en intervention sociale et migrations européennes. C’est après ce master qu’il prend la décision de s’inscrire en thèse.

Pourquoi l’anthropologie ?

« J’avais eu un cours de méthode en anthropologie qui m’avait beaucoup plus. C’est cet aspect terrain… Parce que, pour ma licence j’ai fait un mémoire dans un musée et du coup j’ai beaucoup aimé ce rapport un peu empirique au terrain, aux gens. Et à travers mes entretiens au musée - ça m’intéressait plus parce que je travaillais sur un musée d’art - j’ai beaucoup aimé cet aspect très terre à terre de l’entretien et de l’observation. Donc je me suis dit que l’anthropologie c’était la formation qui m’offre la possibilité d’avoir un terrain de recherche très « immédiat » par rapport à ce que je veux étudier. Donc c’est pour ça que j’ai choisi l’anthropologie. »

Un sujet du master à la thèse

« J’ai décidé de travailler sur les questions migratoires dès mon M1 [anthropologie]. Ça découle d’un intérêt presque personnel pour ces questions, étant moi-même une personne migrante. C’était un peu une manière de traiter un sujet qui m’intéresse presque intimement par rapport à mon expérience biographique. Du coup, lors de la première année du master, malgré le fait qu’il y avait des cours toute l’année, j’ai eu l’occasion de faire un peu de terrain sur les questions migratoires en décembre, pendant noël, et un peu au printemps, avant de rendre mon mémoire. »

« J’ai fait mon terrain au Maroc, parce que je travaille avec des personnes qui veulent rejoindre de manière « régulière » l’Europe et du coup j’ai travaillé sur un campement migratoire à Rabat. C’était ma première expérience vraiment ethnographique et je travaille toujours sur ces questions d’ailleurs. Le campement sur lequel j’ai travaillé n’existe plus d’une certaine manière et j’y pense encore parce que je suis en train d’écrire une partie de ma thèse où je traite de cette disparition et apparition des campements. Ce qui fait que je travaille toujours sur des matériaux que j’ai recueillis lors de mon M1. C’est-à-dire il y a presque huit, neuf ans. »

« Par rapport à mon sujet de thèse, je travaille sur l’expérience des personnes migrantes qui viennent généralement de pays de l’Afrique de l’Ouest et qui passent par le Maroc pour généralement rejoindre l’Europe à travers les îles Canaries. Et du coup je m’intéresse beaucoup à la mobilité subalterne, à l’expérience d’habiter l’espace, parce que je travaille sur les campements et les camps. Comment, par exemple, une personne migrante habite dans la mobilité. Après je m’intéresse énormément à l’expérience sensorielle dans un campement. À ce que signifie la clandestinité en dehors du statut un peu juridique, économique, social en fait, à l’expérience presque intime de la clandestinité. Du coup je m’intéresse à l’expérience des mobilités subalternes, mais à travers plusieurs prismes : spatial, sensoriel, cette dimension très sensible de ce que c’est la clandestinité. Du coup je travaille sur les campements de plusieurs villes en face des îles Canaries, comme Laayoune ou Tan-Tan. En fait ce sont les plateformes à partir desquelles on traverse une partie de l’atlantique pour aller aux Canaries, qui est un archipel qui dépend de l’autorité espagnole et qui fait partie, d’une certaine manière, de l’espace Schengen. »

Le poste d’Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER)

Au début de sa thèse, avant de devenir ATER, Ayoub était vacataire à l’Université de Strasbourg et à Science Po Reims. C’est à travers cette première expérience d’enseignement qu’il s’initie au métier d’enseignant.

« Actuellement j’occupe un poster d’ATER à l’Université de Strasbourg. Ce que je fais c’est tout simplement de l’enseignement. J’essaie de faire de la recherche à côté parce que je suis en quatrième année de thèse en même temps. Mon travail consiste à donner des cours dans plusieurs parcours et formation à l’Université de Strasbourg (anthropologie, médecine, sociologie et master inégalités et discrimination). [...] En général, quand vous êtes ATER on va vous donner des cours qui se rapprochent de votre objet d’étude. Par exemple, dans le master discrimination, je donne un cours sur l’immigration, conflits et frontières. Et après, on peut donner des cours plus méthodologiques. Par exemple, en M2 en Anthropologie sociale et culturelle, je donne un cours sur l’analyse des données ethnographique. Donc c’est un travail sur la rédaction et l’analyse. [...]  Je donne un volume horaire de cours de 192 heures, mais je participe aussi un peu aux activités de recherches dans mon laboratoire et à la faculté des sciences sociales de manière générale. Et je suis des étudiants dans leur mémoire quand ils travaillent sur des questions migratoires. C’est super intéressant et super « formateur » de revenir sur son lieu de formation, mais de l’autre côté du bureau. »

« Quand on fait une thèse, il y a un schéma plus ou moins linéaire. Quand on commence à voir le bout, c’est-à-dire la fin de sa thèse et qu’on commence à penser à soutenir, généralement à partir de la troisième année, on peut postuler à ce poste d’ATER. En fait c’est valorisant parce que ça permet d’être familier avec l’expérience de donner cours, plus ou moins toute la semaine et parce qu’après la soutenance on peut faire valoir qu’on sait donner cours, qu’on sait un peu être intégré dans la vie d’un laboratoire, dans la vie de la faculté des sciences sociales. En général on le fait soit avant la thèse, soit après la thèse. Et je trouve que le faire avant c’est valorisant parce que ça me permet de continuer dans cet aspect un peu linéaire de la recherche avec après un postdoc et après postuler pour un poste de maître de conférences. C’est un peu une étape à franchir dans la vie d’une personne qui veut faire de la recherche »

« Une journée type c’est, on se réveille, on prépare ses cours et, on le dit pas souvent, enfin, on le dit pas assez en tout cas, mais préparer des cours, ça prend du temps. Par exemple, pour une heure de cours généralement c’est multiplié par 3, 4, voire 5. Surtout les CM. Les TD c’est plus participatif. Mais les CM c’est des cours magistraux du coup ça demande un peu plus de temps et du coup une journée type c’est une journée de préparation de cours tout simplement. Du coup, soit je prépare mes cours, soit je lis, je fais de la recherche, dans mon cas, de la rédaction de ma thèse. Faut faire les deux [thèse et ATER] donc on apprend rapidement à la fac à jouer sur plusieurs tableaux. Et après il y a tous les « à côté » qui sont valorisant. Par exemple je fais partie du comité d’organisation de deux séminaires dans mon laboratoire. »

« Ce que j’aime plus, c’est cet aspect enrichissant de l’enseignement. J’aime bien me trouver 2/3 clés très intéressantes par rapport à ma thèse en lisant des ouvrages qui sont très éloignés, et c’est cet aspect un peu aléatoire en fait, de trouver les clés, chercher à travers des découvertes un petit peu inattendues. Du coup moi j’aime bien cet aspect par rapport à l’enseignement. Enfin... J’établis pas une rupture entre « enseigner » et « faire de la recherche ». Généralement j’essaye de faire les deux en même temps et en fait il y a des continuités très stimulantes. En tout cas pour moi. […] Faire du terrain, lire, écrire, j’aime bien. »

Quelques compétences nécessaires

« Par rapport aux apprentissages du master que j’utilise tous les jours, il y a ce qu’on appelle la lecture active critique. C’est-à-dire que, quand on est en anthropologie, on apprend vite à lire des textes pas que « difficiles », mais qui portent aussi sur un aspect très particulier, qui ont parfois des développements théoriques qui appellent une attention et une vigilance. Du coup, un des éléments que j’ai appris pendant ma formation c’est comment « correctement » lire un texte, avec toute l’attention que mérite un texte et comment transformer ce savoir. Et ça, on l’utilise tous les jours dans mon métier d’ATER et d’enseignant, mais aussi dans mon occupation de doctorant. Le deuxième aspect rejoint le premier, mais c’est cette capacité rédactionnelle. Quand on est en formation en anthropologie on apprend vite à écrire des dossiers par rapport à des thématiques très spécifiques. Et ça, avoir cette méthodologie d’écriture, cette capacité d’écriture scientifique, on l’utilise tous les jours. Après, il y a savoir lire, savoir écrire, savoir mobiliser des concepts et les rendre opérants dans notre analyse. Savoir jouer avec les concepts, pour ne pas dire avec les mots, mais avoir cette capacité à créer des éléments intéressants par rapport à ce qu’on est en train d’observer. »

« Par rapport aux prérequis pour bien mener cette fonction, il faut avoir déjà donné cours. Il faut avoir cette expérience de donner cours dès l’inscription en thèse. Il faut avoir quand même une base un théorique par rapport à un savoir anthropologique de base, connaitre les fondamentaux d’une certaine manière, et cela à travers toute la variété un peu des savoirs anthropologiques, là encore anthropologie économique, politique, certaines aires culturelles… Il faut avoir certaines bases pour pouvoir les transmettre. Et il faut avoir la possibilité de faire sa thèse et remplir ses obligations d’ATER en même temps parce que c’est très enrichissant, très stimulant, mais c’est très prenant. Il faut avoir cette capacité encore une fois de jouer sur deux tableaux en même temps. Parce que l’une des conditions pour avancer dans sa thèse c’est de toujours garder un lien direct avec sa thèse et parfois on est pris dans l’enseignement et on l’oublie. »

« Il y a aussi cet aspect un peu invisible de la vie des doctorants c’est qu’il faut valoriser sa recherche à côté. Donc généralement il faut la possibilité aussi de travailler tard ou le weekend parfois. Après c’est une gestion de temps. Une des capacités à avoir c’est la gestion de temps. Il y a des personnes qui arrivent à faire tout du lundi au vendredi et des personnes comme moi qui n’ont pas cette capacité à cerner tout le travail sur cinq jours. Du coup je travaille six jours sur sept et quand c’est vraiment nécessaire 7/7, mais c’est rare. Il faut savoir se reposer aussi. »

Souvenirs du master : méthodologie et « aires culturelles »

« En fait on a eu de la chance parce qu’à Strasbourg on était une promotion très internationale. Il y avait beaucoup de personnes qui venaient de divers pays et du coup, ça m’a beaucoup marqué parce que c’était enrichissant. Au-delà du contenu du cours- l’anthropologie c’est une discipline qui est très ouverte sur le monde, en fait c’était cet aspect très « aires culturelles » - parce qu’il y avait des spécialistes un peu des « aires culturelle » pour le dire rapidement - en fait il y avait cet aspect international directement dans l’apprentissage de tous les jours. Après, il y a aussi des cours qui m’ont marqué. Moi j’aime beaucoup la méthodologie et c’est un cours de méthodologie qui m’a orienté pour faire de l’anthropo. C’était un cours de première année qui était très remarquable et qui m’a confirmé dans mon intuition d’une certaine manière de faire de l’anthropologie. Je garde le souvenir d’une promotion très internationale, un enseignement très « dispersé » par rapport aux aires culturelles et un très bon cours de méthodologie. »

Pour les futur.es étudiant.es

« Il faut toujours se garder de donner conseil [rire]. Mais, comme conseil je dirai avoir un peu soif, être curieux, curieuse. Il y a énormément de personnes avec qui j’ai fait la formation qui ont eu des parcours très variés. Il y en a qui ont fait des thèses comme moi, il y en a qui ont un job dans le milieu de la culture, par exemple, ou autre, mais on garde cet aspect… ouverture d’esprit. C’est large comme conseil, mais je pense qu’il faut avoir cette curiosité que l’anthropologie sait satisfaire d’une certaine manière. Parce qu’on apprend énormément de choses et des choses qui vont nous accompagner pendant un long moment… Avoir une curiosité à Autrui, avec un A majuscule, qui signifie la plus proche des personnes jusqu’à la plus lointaine des personnes, même géographiquement. »