(En)Quête Professionnelle - Paul Favre

Paul Favre

Dans cet article nous vous présentons le profil de Paul Favre, 27 ans, chargé de projets européens ÉPICUR SHAPE-IT. Après deux ans en école d’ingénieur, Paul décide de prendre une année de césure en Asie du Sud-Est. Conquis par la découverte de nouvelles cultures, il décide de se reconvertir et entame un cursus en Anthropologie. En M1, il part en échange à Taiwan, à la National Chiao Tung University, Hsinchu City. Séduit, il en fait son sujet de mémoire, soutenu en 2021.

Un terrain à Taïwan : la divinité Mazu et l’économie spirituelle

« Pour mon mémoire de master, mon sujet portait sur Taïwan. Je m’intéressais en particulier à un évènement qui a lieu chaque année, qui est le pèlerinage annuel de Mazu, qui est une Déesse. Dans les temples là-bas, les gens vénèrent des statues qui représentent des divinités. Et chaque année ils prennent la statue de la déesse dans un temple qui est particulièrement connu, ils la mettent sur une chaise à porteurs et la déplacent jusqu’à un temple qui est dans le sud de l’île. Les gens suivent toute cette procession qui peut durer jusqu’à huit ou neuf jours. Il y a des groupes qui font des danses, il y a des feux d’artifice partout, il y a plein de cérémonies tout au long de ce pèlerinage. Donc je m’intéressais beaucoup à ça et derrière il y avait les questions d’économie d’énergie, dans le sens où ce qui se joue beaucoup dedans et dans les religions chinoises en général, c’est que se rapprocher d’objets comme ceux-là nous permet d’accumuler de l’énergie positive. Donc il y a toute une question de la circulation de l’énergie. Et tout ça, c’était avec la thématique un peu dans le fond l’identité taïwanaise. Qui est un sujet assez important, surtout si on s’intéresse à la géopolitique de la zone parce qu’il y a un côté « est-ce qu’on est taïwanais, est-ce qu’on est chinois » et qu’est-ce que ça veut dire [d’être l’un ou l’autre]. Et Mazu est assez importante là-dedans parce qu’elle est extrêmement populaire à Taïwan, bien plus qu’elle ne l’est en Chine, même si c’est une divinité qui est originaire de Chine. Donc ce pèlerinage j’y avais assisté pendant mon année d’échange, mais seulement par petits bouts, je ne l’avais pas fait en entier. Et mon plan c’était d’y retourner en master pour le suivre entièrement, ce que je n’ai pas pu faire malheureusement (covid oblige). Donc c’était très bibliographique, mais avec l’expérience de terrain que j’avais eu quand même là-bas. »

Lier son parcours étudiant au monde professionnel

Après son master, Paul réalise un service civique au sein de l’association Erasmus Student Network (ESN), réseau européen dont la mission principale est la promotion de la mobilité internationale et l’accueil des étudiants internationaux.

« En lien avec l’expérience d’échange international que j’ai eu à Taïwan, j’ai été pris pour un Service civique qui portait sur cette deuxième mission, qu’on appelle la « SMI » dans le milieu, la Sensibilisation à la Mobilité Internationale. Et donc, dedans, mes misions c’était principalement d’aller dans les établissements scolaires pour parler des programmes d’échanges qui existent, sensibiliser un peu les élèves à ça : qu’est-ce que c’est la mobilité internationale, qu’est-ce qu’ils peuvent faire dans leur parcours. Donc on va parler du programme Erasmus, des autres opportunités d’échanges qui existent, comme celle que j’ai faite à Taïwan, qui n’était pas dans le cadre d’Erasmus.  Mais ça peut aussi être des choses différentes, comme faire un volontariat international, faire du woofing, ça peut être plein de choses. Mon service civique n’a duré que 6 mois, mais ça m’a quand même beaucoup apporté et je suis resté en tant que bénévole dans l’association pendant trois ans à peu près. C’était des choses qui me touchaient beaucoup et que je suis toujours très sensible à ces missions-là. Et donc, même en tant que bénévole après j’ai développé pas mal de projets, j’ai bossé sur pas mal de choses différentes et d’assez grande ampleur. L’année dernière par exemple, j’avais fait une demande de subvention à la ville où on a reçu 4 000 euros qui nous a permis de faire un podcast sur la mobilité internationale. Donc on a vu avec une autre asso qui est dans l’audiovisuel et qui avait le matériel pour et on a enregistré, conçu les épisodes, etc. Donc je me suis engagé sur cette problématique de la mobilité internationale pendant plusieurs années et c’est ça qui m’a donné envie de bosser là-dedans. Donc j’ai postulé à différentes offres d’emploi et notamment une proposée par la DRI, la Direction des Relations Internationales, ici à Strasbourg, et c’est donc sur ce poste en lien avec l’Alliance ÉPICURE que j’ai été recruté. »

Une journée type pour Paul

« Ma première mission est liée à l’alliance Épicure, donc l’alliance dans laquelle participe et que coordonne l’Université de Strasbourg. Dedans, je suis en charge de la mobilité. Ça veut dire que tous les étudiants de l’université, qui veulent faire une mobilité dans le cadre de l’alliance ÉPICURE, c’est moi qui vais traiter leur dossier. Ça c’est la première chose. Après, cette alliance est en train de se créer. Donc en plus d’être une alliance en tant que structure c’est un projet européen. Donc j’ai un certain nombre de missions aussi dans la partie projet - ça veut dire travailler sur la stratégie de mobilité de l’alliance, produire des livrables, des recommandations sur ce qu’on va faire, mettre en place des structures, etcétéra - pour construire cette alliance. Ça c’est la première partie. Et en plus de ça, aux relations internationales, je travaille aussi dans le pôle de coopération. Donc ça veut dire faire des accords avec toutes les universités partenaires pour que les étudiants puissent faire des échanges avec. Et dessus on est plusieurs, on est reparti par zones, et moi je m’occupe des universités en Asie. »

« Dans une journée type, c’est quand même très rare que je n’aie pas de réunion. Y’a souvent des réunions, souvent en visio, notamment dans le cadre de l’alliance parce qu’on est toujours en échange avec les partenaires pour discuter de quelles sont les prochaines étapes de telle ou telle tâche ou telle ou telle partie du projet. Je vais prendre contact avec des partenaires internationaux ou répondre à leur prise de contact pour négocier les accords d’échange qu’on est en train de faire, donc ça peut être [par exemple] : nous, on voudrait qu’il y ait cinq échanges par an, eux en voudraient deux, est-ce qu’on peut s’accorder sur trois, ou encore quels niveaux de langue sont requis. […] Des fois on va recevoir une sollicitation, ça peut être une université qui nous contacte pour faire un échange avec nous et dans ce cas-là, ça va aussi être mon job de me renseigner sur cet établissement, voir ce qu’il a à proposer, voir si c’est intéressant ou pas. Ce n’est pas moi qui vais prendre la décision, mais je vais un peu faire mon analyse que je soumettrai à mes supérieurs pour leur dire ce que j’en pense et si l’établissement est pertinent par rapport à notre établissement. »

L’intérêt de l’anthropologie dans les relations internationales

Étant quotidiennement en lien avec des partenaires internationaux, Paul affirme que sa formation en Anthropologie lui a donné des clés essentielles à la bonne conduite de ses missions.

« C’est là qu’intervient l’anthropologie. Il faut comprendre comment fonctionnent ces cultures, même si on ne va pas autant rentrer en détail qu’en anthropologie, analyser ce qui est structurel, etc., ça va être des choses plutôt générales, des tendances qu’on observe pour ensuite agir en fonction. Typiquement, avec les partenaires chinois, ce qu’on observe souvent, c’est qu’il y a énormément de politesse dans les mails, les prises de contact, et cetera. Évidemment, il faut répondre avec autant de politesse, c’est comme ça que ça se fait. Mais il faut aussi savoir lire derrière la politesse. Parce qu’ils vont demander des choses de manière très polie, mais ils vont demander et redemander, insister, et comme ça, demander toujours plus. Il y a eu par exemple une visite de partenaires chinois qui a eu lieu en octobre. Il y a très souvent des visites d’Universités partenaires, on les accueille, on les emmène dans différentes composantes, typiquement ils sont intéressés par la fac de chimie, on contacte la face de chimie pour qu’ils se rencontrent, discutent des possibilités, etc. Donc là c’est ce qui est arrivé. Et il a fallu vraiment insister pour tenir le programme qu’ils avaient demandé. Ils n’arrêtaient pas de redemander plus, ils voulaient un entretien avec le président, avec le prix Nobel, etc… Et même sur place, ils avaient décommandé des choses. On avait contacté des professeurs qui avaient réservé un créneau pour les rencontrer et au final, ils n’y sont pas allés. Donc il faut savoir bien cadrer les choses, être polis et ferme. Ce n’est pas toujours évident. Mais ça, voilà, c’est juste un exemple avec les partenaires chinois. Je ne suis évidemment pas en train de dire qu’ils sont tous pareils là-dessus, mais il y a des tendances quand même qu’on peut retrouver. Et donc bien sûr l’aspect connaissances interculturelles est très important : un peu savoir se renseigner sur le pays, quelle est la culture de travail là-bas, savoir comment ça fonctionne. C’est important. »

Valoriser son master : Observation, Recherche, Analyse, Synthèse.

« Alors les points forts à mettre en avant pour moi c’est vraiment toutes les compétences transverses. […] Là où ça va jouer, c’est vraiment de mettre en avant toutes les compétences qu’on a, auquel on ne pense pas forcément, donc il faut vraiment s’appuyer sur « là concrètement qu’est-ce que j’ai développé comme compétences pendant mon Master. » Déjà des capacités d’observation. Parce que le cœur du terrain c’est savoir observer ce qu’il y a autour de nous. On est parmi des gens, on ne comprend pas nécessairement grand-chose de ce qu’il se passe, mais on essaye au moins d’observer, de voir. Ensuite on a plein de données, même si on ne les comprend pas trop. Et ensuite on analyse. Donc ça, c’est la deuxième chose : l’esprit d’analyse. C’est-à-dire à partir de données, qu’est-ce qu’on en tire, qu’est-ce que ça veut dire, avec quoi on les met en lien pour comprendre ce qu’il se passe. Déjà observation, analyse, c’est quand même la majorité des jobs. Ensuite, bien sûr, il y a tout ce qui est capacité de recherche. Au sens général, pas au sens « recherche académique ». Ça veut dire qu’on a besoin d’une information, on ne l’a pas, comment on la trouve ? Et ça dans n’importe quel parcours universitaire, mais je pense que c’est encore plus vrai en sciences humaines et sociales, et bien on a plein de méthodes pour trouver l’information. Évidemment, la première chose qu’on fait, c’est taper dans Google la recherche qu’on veut et parfois ça donne un peu des pistes. Mais il faut croiser les sources, aller quand même sur les sources d’information plus spécifique sur le sujet, savoir où chercher, savoir quoi demander, trouver vraiment qu’est-ce qui va nous apporter les éléments dont on a besoin et bien sûr les mettre en lien avec ceux qu’on connait. »

« C’est un peu savoir tisser de liens, prendre des bouts d’informations ici et là, les connecter, comprendre ce que ça veut dire. Je pense que c’est aussi beaucoup ça qu’on fait sur le terrain en fait. Il y a aussi toute la partie rédaction. Parce que, dans beaucoup de job, on va demander de rédiger des trucs. Ça peut être rédiger un rapport pour dire qu’est-ce qui a été fait jusque-là, rédiger des recommandations pour dire dans ce projet qu’est-ce qu’on va faire, qu’est-ce qui serait intéressant. La rédaction c’est toujours très important parce que le texte c’est quelque chose qui est un peu au cœur du monde du travail. Donc savoir bien rédiger, ça peut paraître un peu bête dit comme ça, mais c’est quelque chose qui est quand même très important et qu’on fait tout le temps. Évidemment, en anthropologie, quand on sort un mémoire de 200 pages, à priori, niveau rédaction, ça donne un petit boost. L’inverse aussi du mémoire, savoir synthétiser. C’est aussi important. Typiquement là : je parlais des analyses d’université que je fais. Ma boss n’a pas envie de lire trois pages dessus, elle a envie de lire un petit paragraphe qui explique pourquoi c’est bien, pourquoi c’est pas bien. Donc savoir synthétiser les informations essentielles, c’est aussi quelque chose de très important.  En tout cas, voilà, c’est beaucoup de compétences transverses, que l’on utilise dans différents domaines et qui sont utilisées dans plein de métiers différents. »

« Observation, analyse, rédaction, synthèse. Vraiment tous les jours, on me demande de rédiger des trucs, d’analyser un établissement, un message que l’on a reçu, de comprendre ce qui se passe. Tous les jours je dois faire des recherches sur un sujet ou un autre. Là on veut mettre en œuvre une nouvelle procédure pour la délivrance de bourse dans notre alliance Épicure, et bien il faut que je fasse des recherches sur comment les autres alliances le fond, quelles sont les procédures qui existent au niveau de l’agence ERASMUS, faire un peu des recherches pour voir ce que nous on peut faire. »

Pour les futur.es étudiant.es

« Alors, c’est un Master qui est très intéressant et où on apprend beaucoup de choses, qui est très riche, mais je pense qu’il faut faire attention à le compléter avec des choses à côté. […] Les recruteurs n’ont pas forcément besoin de quelqu’un qui est diplômé de telle ou telle discipline, ils veulent quelqu’un qui ait de l’expérience et qui ait un diplôme. Souvent ils veulent un bac+5, ils s’en fichent en quoi, mais qui a de l’expérience dans ce qu’ils veulent. Donc par exemple en communication : si tu n’as pas un diplôme en communication, mais que tu as un diplôme quand même et qu’à côté tu as de l’expérience en communication, ça passe. Ça dépend évidemment des recruteurs et des entreprises, etcetera, mais c’est important. »