Giordano Marmone Maître de conférences (Associate professor)

Afrique de l’Est, Kenya, Samburu County, Marsabit County, Turkana County, Nairobi ; Anthropologie de la globalisation, anthropologie politique, anthropologie de la musique, théorie institutionnelle ; Conflit en contexte pastoral, pluralisme institutionnel, processus électoraux en milieu rural, populisme rural au Kenya, âges de la vie, technologies numériques et pouvoir, droits collectifs aux ressources et à la terre chez les pasteurs mobiles d’Afrique de l’Est, enjeux contemporains de la mobilité pastorale.

Enseignements 2024-2025

Thèmes de recherche

Mon parcours académique repose sur une formation pluridisciplinaire, conjuguant l’anthropologie politique, l’anthropologie de la musique et les institutional theories. Le point de rencontre entre ces différentes orientations scientifiques réside dans mon intérêt pour les usages de la parole et du corps dans les processus de fabrication du pouvoir et d’incarnation de catégories institutionnelles et statutaires. Spécialiste des sociétés pastorales nomades et semi-nomades d'Afrique de l’Est, je mène mes terrains principalement dans les régions semi-désertiques du nord du Kenya. Mes enquêtes les plus récentes portent notamment sur le thème du pluralisme institutionnel en milieu pastoral. À travers cet axe de recherche, j’examine les superpositions et les syncrétismes entre les institutions bureaucratiques (internationales, nationales et régionales) et les institutions coutumières pastorales. Mon objectif est de comprendre comment ces interactions influencent les processus électoraux au nord du Kenya et l'accès des populations nomades aux droits à la terre, aux ressources et à la mobilité. Je m’interroge également sur le rôle des technologies de communication (téléphones portables, réseaux sociaux, applications de messagerie) et de la circulation de fichiers numériques (musiques, images, vidéos) dans la production de nouvelles formes de populisme rural, de propagande et de fiction dans le Kenya pastoral.


Processus électoraux et populisme rural au Kenya

Mes recherches actuelles se penchent sur les parcours, les stratégies électorales et la consolidation du pouvoir des candidats aux élections locales et nationales issus de quatre communautés pastorales semi-nomades du nord du Kenya. Je m’intéresse particulièrement à la manière dont ces individus construisent leur statut politique et leur consensus en naviguant entre la bureaucratie étatique et les institutions coutumières pastorales. Mon hypothèse est que la bureaucratisation des institutions pastorales s’accompagne d’une « pastoralisation » des administrations des comtés du nord du Kenya. Ce processus transforme les normes concernant l’élevage nomade et l’accès aux ressources et à la terre.

Par ailleurs, j’examine les techniques de propagande utilisées par les candidats et les élus pour forger des identités conformes aux attentes de leur électorat pastoral. Je m’intéresse notamment à l’usage des technologies numériques et à la création de chansons électorales inspirées des chants de raid, liés aux conflits entre communautés semi-nomades. Ma réflexion m’amène à m’interroger sur les modalités par lesquelles les candidats d’origine pastorale s’inspirent de certains modèles du populisme global pour donner naissance à de nouvelles formes de populisme rural.


Droits collectifs des populations pastorales et pluralisme institutionnel

Mes collaborations avec l’Université Libre de Bruxelles (Laboratoire d’Anthropologie des Mondes Contemporains, contrat FNRS) et avec l’Université du Michigan (bourse Fyssen) m’ont conduit à centrer mes recherches sur les thèmes des droits collectifs et du pluralisme institutionnel au sein des communautés pastorales d’Afrique de l’Est. La notion de « pluralisme institutionnel » se réfère, selon la définition de Laura German et al., à « des ordres normatifs et des sources d’autorité multiples et superposés qui caractérisent souvent les espaces ruraux » (2017 : 638). L’exemple le plus communément étudié est celui de la coexistence d’institutions étatiques de nature bureaucratique et d’institutions dites coutumières caractérisées par des sources d’autorité différentes telles que l’âge, la royauté traditionnelle, les lignages, l’appartenance clanique et les rites d’initiation, ainsi que diverses organisations normatives comme les assemblées villageoises et les conseils des anciens. Dans le cadre de mes enquêtes, j'étudie la création et la diffusion de narrations et de policy anti-pastorales au Kenya. Je me concentre sur l'utilisation des technologies numériques, notamment les téléphones portables, omniprésents chez les pasteurs nomades. Ces outils sont exploités par des ONG internationales et des acteurs gouvernementaux pour propager des notions néo-libérales des relations économiques et légitimer la présence de systèmes de gouvernance bureaucratique en milieu rural. J’examine particulièrement les stratégies discursives et symboliques visant à favoriser l’adhésion des pasteurs à des projets de sédentarisation et de transition vers l’agriculture. Ces projets préconisent un abandon progressif des institutions locales fondées sur la notion d’âge et de génération, représentées comme productrices de conflit et de pauvreté. En prolongement de cette réflexion, je co-dirige avec Kelly Askew, directrice du département d’anthropologie de l’Université du Michigan, un numéro thématique de la revue internationale Nomadic Peoples intitulé « Collective Rights to Land and Resources: An Institutionalist Perspective on Pastoralism in Africa ». À travers ce numéro, notre objectif est de montrer comment les populations pastorales naviguent entre divers régimes légaux et institutionnels, bureaucratiques et coutumiers (les plurified governance landscapes dont parle Brian Klein, 2023), pour accéder aux terres et aux ressources nécessaires à la reproduction de leur système économique fondé sur la mobilité.


Numérisation de la performance, politique et conflit en Afrique

La diffusion rapide des téléphones portable chez les communautés pastorales du Kenya à partir des années 2010 a ouvert des possibilités inédites d’action politique et de création artistique pour ces peoples nomades. Ainsi, l’étude des usages du numérique en milieu rural est devenue un axe central de mes recherches. En collaboration avec Katell Morand du Département d’Anthropologie de l’Université Paris Nanterre et Raymok Ketema du Département d’Histoire de l’University of California Santa Barbara, j’ai élaboré le projet Un objet dans le conflit : production, manipulations et partages des fichiers musicaux en Afrique de l’Est, qui a été retenu pour un financement sur deux ans (2021-2023) par la MSH Mondes. Notre réflexion s’est concentrée sur le fichier musical en tant qu’objet autour duquel se construisent des relations, des alliances et des stratégies politiques en situation de conflit dans trois pays d’Afrique de l’Est : le Kenya, l’Éthiopie et l’Érythrée. La question que je me pose, concernant cet axe de recherche, est la suivante : le partage numérique en milieu rural engendre-t-il la diffusion d’une conception spécifique de l’organisation institutionnelle et des statuts sociaux ? Dans cette perspective, j’introduis la notion de « samburusation » du nord du Kenya, illustrant ainsi l’emprise croissante de la culture et de l’organisation sociale des Samburu sur d’autres communautés pastorales, renforcée par la diffusion sous forme numérique de leurs répertoires musico-chorégraphiques. Cette hégémonie culturelle a des implications politiques majeures : elle permet en effet aux Samburu d’exercer une domination territoriale non violente, qui leur garantit un accès permanent aux pâturages et aux sources d’eau en dehors des frontières de leur communauté. Notre réflexion collective se développe maintenant sous la forme d’un numéro thématique de revue qui s’intitulera « Digitizing Performance in Africa. Politics, Aesthetics, and Historical Continuities in the Circulation of Music » et paraîtra dans la revue internationale Africa. Le numéro explorera les implications politiques, esthétiques et économiques de la circulation de fichiers musicaux en Afrique ainsi que les antécédents historiques de ces réseaux de partage.

Publications

Direction de numéros de revue

2025 (en préparation) : « Digitizing Performance in Africa: Politics, Aesthetics, and  Historical Continuities in the Circulation of Music ». Numéro thématique de la revue Africa (avec Katell Morand et Raymok Ketema).

2025 (en préparation) : « Collective Rights to Land and Resources: An Institutionalist Perspective on Pastoralism in Africa », numéro thématique de la revue Nomadic Peoples (avec Kelly Askew).

2020 : « Conflits et agressivité ». Numéro thématique des Cahiers d’ethnomusicologie, N. 33. (Avec Katell Morand et Sisa Calapi).

Articles à comité de lecture

2024 : « What is the shape of institutions? Materializing the cycles of life in an age-class pastoral society (East-Africa) », Journal of the Royal Anthropological Institute (JRAI), Vol. 30 (2), pp. 457-477.

2022 : « Sharing the rhythm of institutions. Musical influence and generational assimilation in two East African pastoral populations », Annales de la Fondation Fyssen, n° 35, pp. 11-31.

2022 : « Mauvais chanteur…mauvaise personne ? Échec musical et marginalité masculine chez les pasteurs Samburu du Kenya », Transposition. Musique et sciences sociales, Varia, mis en ligne le 08 février 2022, DOI : doi.org/10.4000/transposition.7143

2021 : « Temporalités rivales et panne rituelle. Anatomie de l’échec d’une grande cérémonie masculine chez les Samburu (Kenya) », L’Homme, n°237 (janvier-mars), pp. 15-44.

2021 : « Les parcours chantés du raid. Expérience, composition et domestication d’un environnement lointain », Cahiers de littérature orale, vol. 87, pp. 123-146.

2020 : « Composer avec le conflit. Création musicale, violence et sarcasme dans le passé des Samburu (Kenya) », Cahiers d’ethnomusicologie, Conflits et agressivité, N. 33, pp. 79-96.

2020 : « Préface : De l’agressivité dans l’air… », numéro thématique des Cahiers d’ethnomusicologie, Conflits et agressivité, N. 33, pp. 9-18. (Avec Katell Morand et Sisa Calapi).

2020 « The power of youth. Musical practice and the construction of authority among the Samburu (Kenya) », Ateliers d’Anthropologie, n. 47, Jeunes en question(s). Onze études de cas en Afrique. DOI : doi.org/10.4000/ateliers.12728.

2018 « Quand les femmes fabriquent la masculinité. Pouvoir féminin et construction sociale chez les Samburu du Kenya : une question d’observateur », L’Autre. Cliniques, cultures et sociétés, Vol. 19, N. 3, pp. 323-331. (Avec Maila Marseglia et Alice T. Rizzi).

2017« War and predatory economy in Northern Kenya: How ethnomusicology can explore social change », Cahiers d’Histoire, Volume XXXIV, N°1, Printemps 2017, pp. 157-186.

Chapitre d’ouvrage

2024b (à paraître) : « Navigating Challenges in Women’s Electoral Paths within Pastoral Regions. The case of Statian Lemoosa and the Transition from MCA to MP Status in Samburu County », en Di Matteo, F., Durand, C.J., Fouéré, M.A. (éds.) Inside the MCAs’ Campaign: The Journeys of the Street Politicians of Kenya, Paris, Nairobi, Africae.

Entretiens

2020 : « Musiques et danses ouïghoures en temps de répression. Rencontre avec Mukaddas Mijit », Cahiers d’ethnomusicologie, numéro thématique « Conflit et agressivité », N. 33, pp. 207-221. (Avec Sisa Calapi).

Films ethnographiques

2014 : « Le raid de la plaine – Njore le an’gata ». Court film ethnographique présenté lors de la deuxième édition de « L’Ethnologie va vous surprendre », Musée du quai Branly-Jacques Chirac.

Accessible ici : https://doi.org/10.34847/nkl.7ee9f2tz

2015 : « Larikoni ». Court film ethnographique présenté lors du colloque international de l’ICTM, Université Paris Nanterre.

Accessible ici : https://doi.org/10.34847/nkl.d3b1ya8s

Prix

  • Mention du prix de thèse du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac (2018)
  • Prix/Bourse postdoctorale « Eugène Fleischmann » de la Société d’Ethnologie (2018)