Sans Mobile apparent 2006

Espace Pignon Nord, Zone d’Art, Strasbourg [67]
27 au 29 avril 2006
Exposition réalisée par les étudiants du Master professionnel « Critique Essais », UFR Arts, Université de Strasbourg.

Présentation de l’exposition

A l'origine du projet

L’idée de présenter conjointement des pièces issues de cultures et d’époques différentes est née de la mise à disposition d’œuvres par la faculté d’Ethnologie de Strasbourg et par le FRAC Alsace à Sélestat. Nous voulons faire ressortir de cette exposition croisée une réflexion sur le statut de l’objet/œuvre en tant qu’artefact cultuel ou culturel, et relativiser les différences d’approche inscrites dans nos habitudes culturelles envers les deux types d’objets.

La première appréhension de l'art africain au 19e siècle

Au temps des premières études anthropologiques au milieu du 19ième siècle, l’Occident prend connaissance des productions africaines grâce aux objets rapportés par les missions scientifiques.
Appelés d’abord « art nègre », ces artefacts sont considérés comme issus de civilisations primitives et inférieures. Ils sont étudiés en tant que tels, dans le but d’apprendre le fonctionnement des sociétés dont ils proviennent. Ils sont exposés comme des curiosités, sans le respect accordé aux œuvres occidentales, ni au niveau de la maîtrise technique, ni au niveau du sens. La divergence formelle et signifiante de ces objets était telle, par rapport aux productions artistiques familières, qu’il paraissait impossible de les comprendre sur le même plan. Attitude justifiée s’il en est, mais cette "barrière de sécurité" ainsi posée a empêché pendant longtemps d’entrecroiser et de comparer des notions (rapport au divin, à la mort, à la nature, à la matière…) également présentes dans les deux formes d’art, même si leurs propos diffèrent.
De plus, le mélange souvent inextricable entre art et fonctionnalité a gêné l’analyse des objets africains, car il était malaisé de les faire rentrer dans les catégories occidentales solidement établies depuis Kant (la beauté libre et la beauté adhérente, la finalité sans fin de l’art et l’adéquation à une fonction des ustensiles). Ils furent donc presque toujours présentés d’un point de vue ethnologique, et non artistique.

Un renouvellement du regard grâce aux cubistes

Cependant, il se trouva au début du XXe siècle un groupe de personnes qui releva leur intérêt formel : les Cubistes, et notamment Picasso. Ils s’inspirèrent de la stylisation extrême des représentations africaines, conscients de leur caractère hautement avant-gardiste une fois envisagées selon les critères artistiques en vigueur. Cette lecture de l’art africain fut une première dans le monde occidental et, si elle contribua à faire évoluer les mentalités, ne permit pas encore de placer les deux types d’œuvres sur un pied d’égalité. Réduire ces objets à de simples formes esthétiques n’a pas plus de sens que de les enfermer dans une étude scientifique, car cela serait négliger la spiritualité dont ils sont chargés.

Emergence d'un point de vue global

Dans le film Les statues meurent aussi d’Alain Resnais et Chris Marker (1951), la voix off explique au début : « Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art. Cette botanique de la mort, c’est ce que nous appelons la culture. […] Un objet est mort quand le regard vivant qui se posait sur lui a disparu. Et quand nous aurons disparu, nos objets iront là où nous envoyons ceux des nègres : au musée. L’art nègre : nous le regardons comme s’il trouvait sa raison d’être dans le plaisir qu’il nous donne. Les intentions du nègre qui le crée, les émotions du nègre qui le regarde, cela nous échappe. Parce qu’elles sont écrites dans le bois, nous prenons ses pensées pour des statues. Et nous trouvons du pittoresque là où un membre de la communauté noire voit le visage d’une culture. »
Voilà un début de solution afin d’accepter plus sereinement l’art africain : plutôt que de s’attarder sur des questions d’éthique et d’esthétique, il est intéressant de renvoyer le regard, comme par un miroir, de l’Afrique vers l’Occident pour se rendre compte que nous aussi, avec nos objets et nos œuvres d’art, pourrions être le sujet d’étude d’une civilisation d’un autre lieu ou d’un autre temps.
Nous pouvons alors nous demander si les Africains reconnaîtraient comme art ce que montrent nos musées modernes, ou s’ils n’y verraient que le reflet sociologique d’un monde éloigné.
Lorsque nous hésitons à qualifier un objet africain d’art, ou à le "décatégoriser" en artisanat, le regardeur africain pourrait aussi bien rester perplexe devant une peinture de l’Expressionnisme abstrait, ne visant aucune entité mystique au-delà d’elle-même. La définition de l’art fluctue selon le lieu et le temps, et l’art tel qu’il était pratiqué en Europe au Moyen Age, par exemple, se rapprochait plus de l’art africain que les productions contemporaines.

Une tentative de décloisonnement des genres

Par cette exposition, notre volonté est de réunir les œuvres contemporaines et les objets africains par ce qui leur est commun : l'expression par une forme, et avec une recherche esthétique, des paramètres d'une société. Grâce à ce lien qui passe par-dessus les ambiguïtés liées à des définitions de l’art incompatibles, une porosité apparaît entre deux types de création, jusqu’à les unifier dans la sphère de l’imaginaire humain. Des formes, des procédés, des symboles réapparaissent des deux côtés, et ils dialoguent par le biais des influences, des regards critiques ou des préoccupations partagées.
Le dispositif original mis en place pour la présentation des œuvres vise à mêler les formes dans un même creuset pour désamorcer les préjugés résiduels des regardeurs. Unis dans la même ombre portée, leur rassemblement confus n’a pas d’autre projet que le dialogue, favorisé par leur circonscription dans une chambre de toile. Sur les parois-écrans, se lisent les projections des œuvres mais aussi celles de l’esprit du visiteur…

Liste des objets présentés

Objets de la collection ethnographique de l’Université de Strasbourg

  • Métier à tisser, Afrique, Cameroun : 2002.0.235
  • Mortier et pilon, Afrique, Gabon : 2002.0.177
  • Manche d'une hache d'apparat, Afrique occidentale : 2002.0.121
  • Chape de poulie de métier à tisser, Afrique, Mali, Dogon : 2002.0.229
  • Pipe : 2002.0.211
  • Serrure de grenier, Afrique, Guinée (?) : 2002.0.181
  • Ensemble de toilette, Afrique, Guinée : 2002.0.40
  • Chasse-mouche, Afrique : 2002.0.214
  • Tabouret, Tabouret de chef : 2002.0.277
  • Arme de jet "bec d'oiseau", Afrique, Gabon, Fang : 2002.0.210
  • Arme/Bâton de jet (assortiment) : 2002.0.131
  • Sandales polychromes : 2002.0.169
  • Sandales : 2002.0.167
  • Pot en bois, Afrique Occidentale : 2002.0.176
  • Eventails : 2002.0.55
  • Pagne à franges, Afrique, Cameroun, Fali (?) : 2002.0.71

Œuvres de la collection du FRAC Alsace

Eeftherios Amilitos, Forme ronde, 1962
N° d’inventaire : 96-015
Résine polyester ondulée

Cyril Barrand
, Gorgone, 1967
N° d’inventaire : 96-021
Osier, chambre à air

Ebba Binstadt, Weibliche Stele, 1984
N° d’inventaire : 84-123
Bois peint

Daniel Depoutot, Robot, 1991
N° d’inventaire : 91008
Bois, tôle, moteurs électriques et batterie

Jean-Louis Faure, Cliché Wide World, 1931
N° d’inventaire : 84-125
Bois, acier, ivoire, masques africains, appareil photographique Kodak, et trois photographies encadrées

Patrick Neu, Les deux cavaliers de plomb, 1987
N° d’inventaire : 88-026
Plomb moulé

Gaetano Pesce, Pratt Chair n°2, 1984
N° d’inventaire : 85-043
Polyuréthanne

Denis Roth, Violence, 1984
N° d’inventaire : 84-127
Marbre gris Ruivine, chêne cérusé