Disparition de l'anthropologue Richard Pottier (1940-2020)

DISPARITION DE L’ANTHROPOLOGUE RICHARD POTTIER

SPÉCIALISTE DE L’ASIE DU SUD-EST ET DE L’ANTHROPOLOGIE DE LA SANTÉ (1940-2020)


Pierre LE ROUX

ethnologue, professeur des universités, Institut d’ethnologie de l’université de Strasbourg membre du SAGE (UMR 7363 CNRS & université de Strasbourg)


C’est avec une grande émotion que j’ai appris ce jour la disparition de Richard Pottier, professeur émérite d’ethnologie et anthropologie sociale (1940-2020), docteur ès lettres et sciences humaines de l’université René Descartes Paris V-Sorbonne, l’un de mes derniers maîtres en date, qui nous a quittés le 8 septembre dernier. S’il fut un grand spécialiste du Laos, diplômé de langue lao de l’INALCO en 1971, il le fut surtout de l’Asie du Sud-Est au sens large dont il restera, par l’œuvre, l’un des rares grands et véritables connaisseurs, au point que Georges Condominas lui proposa de prendre à sa suite la direction du Centre de documentation et de recherche sur l’Asie du Sud-Est et le Monde insulindien (CeDRASEMI, UMR CNRS & EHESS) fondé par lui en 1961, avec Lucien Bernot et André-Georges Haudricourt ; ce que dut refuser Richard Pottier déjà dévoué à l’enseignement de nos disciplines si prenant en temps et énergie. Georges Condominas (alias Condo) dont il était très proche le considérait en effet comme son dauphin – Condo me le confia et à d’autres à plusieurs reprises –, en termes de compétence et de connaissances profondes sur l’Asie du Sud-Est, tant continentale qu’insulaire, reconnues sur le plan international.

Richard Pottier était également réputé pour ses travaux sur l’anthropologie de la santé, de la maladie et de la mort, sur le rapport au corps et les pratiques thérapeutiques, sur le bouddhisme et sur la mythologie, notamment tai, et les mythes liés à la riziculture.

Discret sur lui-même, de caractère modeste, extrêmement érudit, généreux et armé d’un humour fin et corrosif face à la médiocrité, d’une grande patience et d’une non moins grande tolérance pour l’erreur humaine, il compte parmi les plus grands ethnologues français.

Il a été fonctionnaire de l’OMS (de 1972 à 1979) au Laos puis aux Philippines, directeur de l’Institut de documentation et de recherche sur les identités collectives et les relations interethniques (IDERIC), de 1980 à 1984, consultant de l’UNICEF et du CIE en 1980 (Paris, Genève, Thaïlande et Maroc), après avoir été coopérant au Laos et chargé d’enseignement en philosophie au Laos puis d’ethnologie en France.

En 1979, le président de la République française l’a chargé, avec Georges Condominas, de coordonner une étude sur les motivations de départ des réfugiés de l’Asie du Sud-Est, les boat-people (les résultats de cette étude sont parus à La Documentation française en 1982 et 1984).

D’abord un temps conférencier à l’Institut Pasteur, en 1979-1980, puis chargé de cours en anthropologie sociale et sociologie dès 1971 à l’université de Lille, nommé professeur à l’université de Nice en 1980, il y fut responsable du DEA d’anthopologie générale et appliquée jusqu’en1992, année de sa nomination comme professeur à l’université de Lille I où il souhaita enseigner afin d’être plus proche de Paris pour les études de médecine de son fils Serge. Il demeura à Lille jusqu’en 1998. De 1998 à 1996 il fut membre du conseil scientifique du musée d’ethnologie de Béthune ainsi que, des années durant, de nombreux comités scientifiques, comités de lecture pour des revues savantes et commissions diverses, il acheva sa carrière universitaire comme professeur d’anthropologie, de 1998 à 2008, à l’université René Descartes-Sorbonne cité (anciennement Paris V, Faculté des sciences humaines et sociales, Sorbonne), où il fut responsable de la filière ethnologie, de 2004 à 2008, avant d’être nommé professeur émérite à sa retraite en 2008. Nommé expert près du Fonds national de la recherche scientifique de Belgique (FNRS) en 2009, il fut à compter de 2011 conférencier à l’École Pratique des Hautes Études en pyschopathologie.

Outre du CeDRASEMI dont il fut membre fondateur et l’un des piliers, puis des équipes du CNRS RIASEM (1981-1992) et IFRESI (1992-98), il fut membre de l’IDERIC (1981-1993) puis de différents grands laboratoires de recherche dont « Langues, Musique et Société » (UMR 8099 CNRS, université Paris V) qu’il contribua à fonder, puis le Centre d’anthropologie culturelle CANTHEL, EA 4545 de l’université Paris V Descartes à La Sorbonne, et enfin, en 2012, le Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale de l’université Paris Descartes-Sorbonne-Paris Cité. En 2005, il devint membre de l’Institut international Transcultura présidé par Umberto Eco.

Nommé en 1999 expert auprès du ministère de l’Education nationale, de la Recherche et de la Technologie à la Direction de l’Enseignement supérieur, de 1995 à 2000 il fut nommé membre du bureau de la commission nationale 38 du CNRS (ethnologie et sociologie des religions) et du Conseil du Département « sciences de l’homme et de la société » du CNRS. Il présida de 2003 à 2007 le Centre national universitaire dans les disciplines concernées des sciences de l’homme (20e section du CNU, « anthropologie biologique, ethnologie et préhistoire »), dont il avait déjà été membre élu de 1986 à 1994. En 2007, il fut accueilli comme membre de la Société française et francophone d’éthique médicale.

En tant que professeur, il dirigea de très nombreux mémoires de maîtrise et master, fit partie de nombreux jurys de thèse et de HDR, et dirigea une quinzaine de thèses de doctorat parmi lesquelles l’on peut citer notamment celles de Yann Benoist (spécialiste de l’anthropologie de la santé et des sans-abris en France), d’Abdu Gnaba (anthropologie de l’entreprise, directeur de l’agence Sociolab, très proche de Richard Pottier), de Jérôme Gidoin (ethnologie religieuse et du Vietnam), de Léo Mariani (anthropologie des sens et ethnologie du Laos), conférenciers invités, collaborateurs ou chargés d’enseignement passés ou présents à l’Institut d’ethnologie de l’université de Strasbourg. Pour ma part, je dois à Richard Pottier, membre du jury de ma HDR en 2012 (en compagnie de Philippe Descola, Bernard Formoso, Jean-Claude Galey, Pierre Lemonnier et Bernard Sellato), en grande part ma position dans cette université pour laquelle il m’avait vivement encouragé à candidater et beaucoup aidé dans la préparation du concours, avec son épouse Xuân-Xûan Pottier ; dette morale et amicale qui ne s’éteindra pas.

En 2013, toujours dans cet esprit et pour soutenir l’enseignement de l’ethnologie à Strasbourg, Richard Pottier accepta de venir y participer au colloque « Métiers, professions et expertises de l’ethnologie : quels périmètres professionnels pour les ethnologues ? », que j’y organisai dans la magnifique salle des conférences de la Maison interuniversitaire des sciences de l’Homme en Alsace, sur le campus de l’université de Strasbourg, les jeudi 21 et vendredi 22 mars, avec mes collègues Agnès Clerc-Renaud, Salomé Deboos et Denis Monnerie, avec le soutien des laboratoires SAGE (UMR 7363 CNRS) et DynamE (UMR 7367 CNRS). Dans ce colloque, entre autres conférenciers invités, intervenait aussi son élève Abdu Gnaba, avec une communication intitulée « Comment présenter l’anthropologie aux managers et entrepreneurs ? ».

Richard Pottier, fort de son expérience d’anthropologie appliquée au sein de l’OMS et autres institutions, contribua à la réussite de cet événement préparatoire de la création d’un module d’enseignement professionnel qui manquait à l’offre de formation existante à Strasbourg, avec une conférence intitulée « L’expérience de l’anthropologie appliquée à l’Organisation mondiale de la santé » dans laquelle il expliquait dans quelles circonstances il avait été recruté à l’OMS, et en vue de quels objectifs, avant de décrire quelques-unes des enquêtes qu’il avait menées, à titre d’illustration, mettant bien en relief l’éternel décalage entre ce que veulent les décideurs et ce que les ethnologues peuvent leur apporter, soulignant avec une grande pertinence à l’intention de ces derniers la nécessité de se présenter en tant que tels et d’assumer leur « employabilité ».

Xuân-Xuân et Richard Pottier avaient lancé le principe d’un livre d’hommage à Georges Condominas à la disparition de celui-ci en 2011 ; ouvrage paru aux éditions L’Harmattan dans la collection “Terrain : récits et fictions” la même année, et réédité en 2013, dirigé par Xuân-Xuân Pottier, intitulé Le Fils des quatre vents : Georges Condominas (262 p.).

Nul ne sait encore si un tel ouvrage pourra voir le jour après la disparition de Richard Pottier mais, quoi qu’il en soit, celui-ci avait reçu dès 2008 le cadeau d’élèves et amis réunis sous le pseudonyme d’Amy Lao (sous la dir. de), sous forme d’un livre d’hommage paru cette année-là chez le même éditeur et intitulé Du Tao à La Sorbonne. L’ethnologue Richard Pottier.

On ne peut aujourd’hui qu’en recommander la lecture, de même que celle des travaux de Richard Pottier, nombreux et étalés dans le temps, l’espace et les thèmes, avec le point commun de la qualité scientifique et de celle de l’écriture, sobre et précise, marqués par la grande érudition et l’esprit de synthèse qui le caractérisaient. L’on trouvera ci-dessous une liste de quelques-uns de ses travaux à titre d’illustration.

Dans la vidéo mentionnée ci-dessous, proposée sur le site de Canal U-TV, l’on trouvera une des dernières et rares interviews de Richard Pottier (vidéo d’un entretien enregistré le vendredi 20 juillet 2007 à la fondation de la Maison des Sciences de l’Homme) d’une durée de 66,32 mn (en langue française) intitulée : Anthropologie de la maladie et du mythe au Laos et en Asie du Sud-Est. https://www.canal-u.tv/producteurs/fmsh/entretiens_par_intervenant/p/pottier_richard

Salut respectueux et affectueux au maître...

Pierre Le Roux, 11 septembre 2020